Dossier Chine (4)

Publié le par Jean-Guy



La Chine est aujourd'hui incontournable entre sa grande poussée économique et les Jeux olympiques de Pékin. Mais que savons-nous concrètement, Occidentaux avidement curieux, de toutes ses richesses culturelles au-delà des clichés, des a priori et des chinoiseries aseptisées passées au filtre d'une uniformisation artistique ? Le cinéma semble le médium parfait et le prétexte idéal pour poser la question de l'identité chinoise : son lien ambigu avec le reste du monde et ses tumultes intérieurs.

 

 

Tandis qu'Hollywood se découvre chaque mois un rentable plaisir à recycler le sud-est asiatique à coups de remakes fanfarons, l'essence même du cinéma chinois ne nous parvient finalement que rarement. Où trouver la vérité d'un patrimoine ancestral parmi toutes les formes modernes de sa vulgarisation en Occident ? La Chine peut-elle se dévoiler dans les salles obscures en infligeant à sa propre création un système de censure rigide ?

 

 

Made in Hollywood, China

 

Même sans évoquer les droits de scénarios de films chinois à succès rachetés par les Etats-Unis qui en usent pour renflouer les caisses, on ne peut nier le fait qu'Hollywood s'inspire depuis bien des années de la Chine, de ses procédés narratifs et de mise en scène pour le bonheur de nos yeux. Le patron de la "cool attitude", Quentin Tarantino, ne lésine pas sur les références explicites à la Shaw Brothers (les 'Kill Bill'). Les frères Wachowski n'ont également rien inventé avec 'Matrix' mais ont emprunté entre autres à John Woo avant qu'il s'établisse sur les collines du mont Lee. Le bullet time popularisé par la cambrure de Keanu Reeves cache une véritable réappropriation des formes filmiques d'une région de la planète cinéma pas encore estimée à sa juste valeur.

Parallèlement, certains réalisateurs chinois deviennent intéressants pour le marché hollywoodien après des superproductions locales frénétiques comme Zhang Yimou, l'homme derrière les machines de 'Hero', 'Le Secret des poignards volants' ou 'La Cité interdite'. Il séduit les studios en dépeignant une Chine de parc d'attractions plus que de carte postale pour une vision artificielle et amputée de la culture du pays.

On pense également à Ang Lee qui crève l'écran et gagne l'admiration du public et de la critique avec 'Tigre et dragon' alors qu'il a déjà posé depuis bien des années un pied ferme en Occident avec des films singuliers à la fibre indépendante tels 'Raison et sentiments' d'après Jane Austen, 'The Ice Storm' qui traite de la libération sexuelle (ou pas) post-Watergate et 'La Chevauchée du diable', superbe western intemporel boudé quelque peu par la critique. La force d'Ang Lee réside dans sa capacité déconcertante d'adaptation à un monde qui lui est d'abord totalement étranger mais qu'il saisit subtilement de plan en plan avec une sincère ouverture d'esprit. Il choisit avec soin sa destinée de cinéaste international polyvalent. Il n'est pas question d'exode mais de la seule volonté de se diversifier, d'être à la fois l'auteur de 'Hulk' et du 'Secret de Brokeback Mountain'.

Une ouverture d'esprit qui fait écho à la popularité de Wong Kar-wai. Bénéficiant de son statut hong-kongais, il se place au carrefour de l'Orient et de l'Occident, du classicisme et de la modernité avec des longs métrages encensés dès leur sortie, de 'Happy Together' à 'My Blueberry Nights' en passant par le diptyque 'In The Mood For Love' et '2046'. La Chine a aujourd'hui le pouvoir de s'imposer dans les turbulences du septième art. Aussi la route ne devrait plus être indéfiniment barrée au développement libre de la création cinématographique.

 

 

Infection et contradictions

 

Le gouvernement chinois détient une suprématie affligeante sur la sortie nationale de toutes ses productions. Aussi, les cinéastes doivent défier la sévérité du système par la provocation dénonciatrice en bouleversant même parfois les règles des genres par des ruses de montage comme Hollywood pouvait le faire au temps du code Hays jusque dans les années 1960. Cependant, l'organisme de régulation du cinéma chinois commence à envisager l'idée d'une classification des films en fonction d'une limite d'âge conseillée de leur public. La censure serait probablement moins stricte sur le sexe et la violence mais sa dureté vis-à-vis des sujets politiques dépendra, elle, toujours de la liberté de l'information en Chine.

D'autre part, la Chine bloquerait l'arrivée des productions américaines selon la Motion Picture Association of America qui ne manque pas de pointer les conséquences financières directes comme l'occulte piratage des films sur Internet. Un sensible blocus culturel que n'hésite pas à souligner Sylvain Bursztejn, le producteur du controversé 'Une jeunesse chinoise' réalisé par Lou Ye et présenté à Cannes il y a deux ans, dans la presse (1) : "Il y a de plus en plus de salles en construction (2), mais seuls vingt films étrangers sont autorisés à être diffusés chaque année en salle. D'où l'utilité de dynamiser la production chinoise, qui compte environ 300 nouveaux films par an et pourrait, à terme, déséquilibrer Hollywood."

 

Si l'échange avec les Etats-Unis n'est pas des plus fluides, la politique culturelle intérieure de la Chine semble prendre des mesures un peu plus tempérées. Le régime de la censure actuel, moins strict qu'il y a une dizaine d'années, comporte ainsi bien des aspects antinomiques. Dès 2003, le gouvernement a proposé à de nombreux cinéastes, même à ceux qui avaient dû s'exiler, de réaliser des films en ayant carte blanche. Ils sont nombreux à faire ainsi leur grand retour sur les écrans du pays pour donner aux spectateurs un plus large choix à l'affiche. C'est le cas de John Woo qui, après des années de bons et loyaux services sur les plateaux de tournages américains reprend en 2006 le chemin de ses racines avec 'The Battle of the Red Cliff'. (3) Le réalisateur de 'Volte-Face' s'attaque à l'histoire de l'empire du Milieu durant la période des Trois Royaumes il y a 1.700 ans, entre tradition et modernité de la mise en scène.

A cette "renaissance" artistique tardive répondent des auteurs qui n'ont jamais voulu prendre la fuite, occupant depuis tout ce temps seuls le champ cinématographique. Prolifique et éclectique, reconnu et respecté, Johnnie To jouit aujourd'hui d'une filmographie rendue culte chez lui et partout ailleurs par son esprit de résistance sophistiquée à l'autorité. Ses films s'exportent, bien qu'il se tienne au principe de ne livrer que des oeuvres entièrement chinoises.

 

 

Un nouvel espoir ?

 

Le cinéma chinois fascine d'emblée par son manque d'accessibilité. Parce que l'Occident s'intéresse à la culture chinoise, le mécénat des festivals internationaux l'encourage, la projette sous les feux des projecteurs et sur un piédestal. C'est ainsi que l'on assiste à l'arrivée progressive mais effective d'oeuvres datant parfois d'il y a trente ans, parallèlement aux nouveautés qui occupent nos écrans grâce au soutien et aux échos promotionnels efficaces des festivals. Le Festival du cinéma chinois en septembre 2007, organisé par la Cinémathèque française et le Max Linder Panorama, ou plus récemment la rétrospective consacrée à Johnnie To à l'Institut Lumière de Lyon accompagnent la sortie estivale de films contemporains aux ambiances et récits variés. On découvre chaque semaine de nouveaux talents : 'La Môme Xiao' de Tao Peng, 'Le soleil se lève aussi' de Jiang Wen ou bien 'La Princesse du Nebraska' et 'Un millier d'années de bonnes prières' de Wayne Wang. Une nouvelle version des 'Cendres du temps' (1994) de Wong Kar-wai verra le jour à la rentrée dans nos salles obscures, pour un autre regard sur un cinéaste qui nous semblait déjà presque familier. La (re)lecture du passé soulève souvent une partie des énigmes du présent. Pour le public occidental, une histoire du cinéma chinois est en train de se dessiner, lentement mais, on l'espère, durablement.

 

Peut-être parce que l'heure est sensiblement à la mondialisation et à la saturation hollywoodienne des écrans, le cinéma chinois nous paraît, avec tous ses enjeux politiques et stylistiques, le bienvenu entre deux blockbusters de l'été. La conversion aura-t-elle lieu pour de bon ?

 

Expositions à la pelle, records battus dans les ventes, effusion médiatique : en arts comme en affaires, les chinoiseries ont la cote sur le territoire occidental. Effet de mode, succès de scandale ou triomphe du Géant asiatique ? A quelques jours de l'inauguration des Jeux de Pékin, enquête sur le boom de l'art contemporain chinois.

 

 

9 septembre 1976 : goodbye Mao. Le Grand Timonier est mort et la Chine, éreintée par une Révolution autarcique, reprend son souffle. Deux ans plus tard, une porte s'entrouvre aux frontières de l'empire du Milieu ; la République populaire se met au pas de course pour rattraper le retard accumulé au cours d'une trentaine d'années d'isolationnisme politique, économique et culturel. A cette petite histoire grossièrement simplifiée de la Chine vient s'ajouter la libéralisation progressive du marché et, avec elle, la croissance fulgurante de la production culturelle, officielle et officieuse. C'est dans ce paysage idéologique tiraillé entre libéralisme économique et doctrine autoritaire, dominé artistiquement par le réalisme social, qu'émergent quelques groupes de jeunes artistes, exaltés par la découverte des développements culturels de l'Ouest (du moins, par ce qu'il reste des avant-gardes historiques et autre pop art après filtrages informationnels d'un régime marxiste-léniniste). Censure, annulations d'expositions, réticence du public : contestés pour leur contenu souvent satirique et leur style expérimental, les deux courants artistiques que sont réalisme cynique et pop politique peinent à se faire une place sur la scène chinoise au début des années 1990. Une solution miracle pour exister : se tourner vers un Occident à l'affût d'innovation made in China.

 

 

Source : http://www.evene.fr/livres/actualite/dossier-culture-chine-politique-cinema-litterature-jo-1439.php

 

 

 


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